IX
Les Expéditions

 

Ce ne fut pas commode, mais on dénicha dans l’ensemble de la compagnie les plus jolis vêtements à la taille de Marie la Mort et de sa mère, Rien, dont on les endimancha afin qu’elles passent pour des propriétaires d’esclaves. Quoique peut-être légèrement miteuses, elles pouvaient parfaitement avoir une esclave à l’allure de nounou comme La Tia et un jeune homme robuste comme Arthur Stuart.

Les étrangers n’étaient pas rares non plus dans la région. Dix ans plus tôt, les seuls Blancs présents étaient des trappeurs ou des fugitifs. Mais lorsque la plupart des Rouges qui refusaient de vivre à la façon des Blancs étaient passés de l’autre côté du Mizzippy, le territoire s’était ouvert à la colonisation. Dans ce pays, quand on habitait une maison debout depuis cinq ans, on passait pour un autochtone de longue date. Aussi personne ne s’étonnerait-il de voir deux femmes d’une famille inconnue – c’était du moins à espérer.

Alvin refusa de les accompagner à la porte de la plantation. « À quoi ça vous avancerait d’voir comment je m’y prendrais ? J’suis un Blanc, et pas un mot de ce que j’dirais vous servirait après. J’garderai l’œil ouvert au cas où ça tournerait mal, mais faut l’faire vous-mêmes. »

La Tia et Arthur Stuart attendirent devant la galerie pendant que Marie la Mort et Rien montaient les quelques marches puis tapaient des mains et appelaient à la porte. Un vieux Noir ne tarda pas à l’ouvrir.

« Bonsoir, dit-il solennellement.

— Bonsoir », fit Marie la Mort. C’était elle qui se chargeait de la conversation parce qu’elle s’exprimait avec un accent français moins prononcé que Rien. Et parce qu’elle donnait davantage le change dans les discussions du grand monde. « Monsieur, ma mère et moi aimerions parler au maître de maison si c’est possible.

— Maître de maison parti, répondit le vieux. Maîtresse de maison malade. Mais le jeune maître là.

— Pourriez-vous aller le chercher, alors ?

— Vous voulez rentrer vous reposer à l’intérieur à l’ombre ? demanda le vieux.

— Non, merci », fit Marie. Elle ne tenait pas à rester hors de vue d’Arthur Stuart et de La Tia.

Le vieux serviteur revint bientôt, accompagné d’un adolescent qui ne devait guère dépasser les quatorze ans. Derrière lui papillonnait un Blanc entre deux âges. Pas le maître de maison ni un esclave, alors qui était-il ?

Marie s’adressa à l’adolescent. « Je m’appelle Marie Moore », dit-elle. Ils avaient préféré opter pour un patronyme anglais donnant à penser que son père avait tout bonnement épousé une Française. « Ma mère hésite à parler anglais. »

Ce fut l’homme entre deux âges qui se précipita pour répondre. « Parley-vous frwançais, madame ? demanda-t-il en français.

— Monsieur Tutor, fit l’adolescent, c’est moi qu’elles s’en viennent voir.

— Qu’elles viennent voir, mon jeune maître, le corrigea monsieur Tutor.

— Ce n’est pas l’heure de ma leçon, je vous prie. » Le gamin feignait donc lui aussi d’appartenir au grand monde, tout comme Marie. Il se retourna vers elle, contrarié, mais reprit aussitôt un air digne. « Qu’est-ce que vous voulez ? Si vous voulez de l’eau ou un morceau à manger, la cuisine est par-derrière. »

Ce n’était pas bon signe, il les traitait comme des mendiantes alors qu’il aurait dû voir en elles des propriétaires d’esclaves de la petite noblesse comme lui.

Heureusement, monsieur Tutor vit aussitôt la gaffe. « Mon jeune maître, on ne demande pas à des dames de passer par-derrière comme des servantes ou des mendiantes ! » Puis il dit à Marie et Rien : « Je vous prie d’excuser son écart de conduite. Il n’a encore jamais accueilli de visiteurs à sa porte, et donc…

— Ce ne sont pas des dames, le coupa le gamin. Regardez leurs tenues. J’ai connu des esclaves mieux habillées.

— Maître Roy, vous êtes impoli, je le crains.

— Monsieur Tutor, vous vous oubliez », répliqua Roy. Il se tourna de nouveau vers Marie. « Je ne sais pas ce que vous voulez, mais nous n’avons rien à donner en faveur d’aucune cause, et je ferais attention à votre place, parce qu’il paraît qu’une ribambelle de gens ont traversé le Pontchartrain la nuit dernière. La nouvelle s’est répandue partout et on raconte que c’est une bande d’esclaves marrons. On a enfermé les nôtres aujourd’hui au cas où il leur viendrait de mauvaises idées, mais vous n’arriverez pas à retenir les deux vôtres s’ils veulent s’enfuir. »

Marie sourit et prit sa voix du grand monde la plus condescendante. « Le danger rôde, et pourtant vous n’invitez pas deux dames à entrer parce que nos robes ne sont pas assez neuves à votre goût. Votre mère sera enchantée quand toutes les voisines sauront que votre porte nous est restée fermée parce que le jeune maître de maison faisait le fier. » Elle lui tourna le dos et entreprit de descendre les marches. « Venez, mère, ce n’est pas une maison correcte.

— Mon jeune maître ! fit monsieur Tutor, au désespoir.

— Vous croyez toujours que j’agis mal, mais, je vous le dis, je sais que ce sont des menteuses, c’est mon talent. »

Marie pivota. « Vous dites que vous avez un talent pour discerner le mensonge ?

— Je m’en rends toujours compte, fit Roy. Je lis le mot “menteuse” partout sur votre mère et vous. C’est mal élevé de dire ça, je sais, mais père me demande de l’accompagner pour acheter des chevaux, des esclaves ou tout ce qui coûte cher, parce que je peux à chaque fois le prévenir que le marchand lui ment s’il affirme “je ne peux pas descendre plus bas” ou “ce cheval est en parfaite santé”.

— Vous devez être d’une aide précieuse pour votre père, fit Marie.

— Oui, reconnut fièrement le gamin.

— Mais les mensonges ne sont pas tous pareils. Ma mère et moi sommes passées par de rudes épreuves, mais nous continuons à nous conduire en dames de qualité parce que ça nous permet de garder notre dignité. Je serais pourtant étonnée si nous étions les premières dames à venir chez vous avec l’intention de vous tromper sur leur rang dans le monde. »

L’adolescent se fendit d’un sourire penaud. « Ben, vous avez raison. Quand les amies de ma mère viennent en visite, les mensonges pleuvent plus dru et plus vite que grêle par temps d’orage.

— Vous devriez de temps en temps laisser passer un mensonge anodin, monsieur, sans le signaler, au nom des bonnes manières.

— Je n’aurais pas dit mieux, fit monsieur Tutor. Notre jeune maître est encore si… jeune.

— Elles le voient bien que je suis jeune », répliqua Roy, encore irrité. Il se tourna vers Marie et Rien. « Pourquoi n’entrez-vous donc pas, mesdames, on va voir si on ne peut pas boire quelque chose comme… de la limonade ?

— De la limonade, c’est parfait, dit Marie. Cependant, avant d’accepter votre charmante invitation, nous avons entendu que vous vous appelez Roy, mais nous ignorons votre nom de famille.

— Eh bien, notre nom vient de ce que nous cultivons. Roy Cottoner, et mon père c’est Abner Cottoner, d’après un général de la Bible.

— Et votre prénom, fit Marie, c’est “roi” écrit en ancien français.

— Je sais. » Roy avait encore l’air irrité. C’était un gamin qui s’irritait facilement.

Elles le suivirent dans la maison. Marie se demandait si elles se conduisaient correctement – était-ce sa mère ou elle qui devait entrer la première ? – mais elle se dit que Roy ne remarquerait rien, et puis il les prenait déjà pour des imposteurs, alors ce n’étaient pas quelques erreurs qui changeraient grand-chose.

« Maître Cottoner », dit Marie.

Roy se retourna.

« Nos serviteurs ont soif. Y aurait-il… »

Il éclata de rire. « Ah, oui. Le vieux Bart, notre domestique, va les conduire à la citerne derrière la maison. »

Effectivement, le vieux Noir fermait déjà la porte d’entrée derrière lui et il allait rejoindre dehors Arthur Stuart et La Tia qui attendaient.

Marie regrettait de ne pas faire davantage confiance au talent d’Arthur Stuart. Mais Alvin avait l’air de ne pas douter de lui, alors comment pouvait-elle refuser de croire à ses capacités ?

Roy les conduisit dans un petit salon et les invita à s’asseoir. Il se tourna vers monsieur Tutor. « Allez dire à Pétunia qu’il nous faut de la limonade. »

Monsieur Tutor parut mortellement offensé. « Je ne suis pas un domestique, monsieur.

— Alors, selon vous, ce serait à moi d’aller lui dire ? »

D’après ce qu’elle savait des bonnes manières, Marie estimait que c’était justement ce qu’il devait faire, mais monsieur Tutor se contenta de plisser les yeux et s’en alla docilement. Marie ne demandait pas mieux que de le voir sortir du salon.

Elle observa Roy qui prenait une pose dans l’encadrement de la porte. Une pose étudiée qui manquait de naturel, et elle le soupçonna d’imiter l’attitude de son père quand il recevait des visites. Chez un adulte, la posture aurait paru languide et désinvolte.

« Maître Cottoner, dit Marie, nous venons, comme vous l’avez deviné, vous demander de l’aide.

— Père n’est pas là, fit Roy. Je n’ai pas d’argent.

— Il se trouve que nous n’avons pas besoin d’argent. Ce qu’il nous faut, c’est la permission d’amener un groupe important de gens sur vos terres, de les nourrir avec vos réserves et de les faire dormir ici cette nuit. »

Les yeux de Roy s’étrécirent et il abandonna sa pose. « Vous êtes donc bien de ces gens qui ont traversé le Pontchartrain.

— C’est vrai, fit Marie. Nous sommes cinq mille et ce serait mieux si vous nous offriez votre aide de vous-même. Mais, s’il le faut, on se servira tout seuls. Nous avons des centaines d’enfants qui ont faim et il n’est pas question que ça continue.

— Sortez de chez moi, fit Roy. Hors d’ici. »

Pour la première fois, la mère de Marie ouvrit la bouche. « Vous êtes jeune, dit-elle. Mais la dignité veut qu’on fasse semblant d’avoir envie de ce qu’on peut pas empêcher.

— Mon père va vous abattre comme des chiens quand il rentrera.

— Roy ! » Une voix féminine retentit dans le hall, et une femme d’allure frêle apparut derrière l’adolescent, pâle et débraillée, comme tirée du sommeil, une robe jetée sur les épaules. « Roy, sous mon toit, on reste poli.

— C’est une bande de fugitifs de Barcy, maman ! Ils menacent de nous prendre nos vivres et tout.

— Ce n’est pas une raison pour oublier la politesse, dit la femme. Je suis Ruth Cottoner, maîtresse de cette maison. Je vous prie de pardonner les mauvaises manières de mon fils.

— Tu n’as pas à t’excuser pour moi, maman, pas auprès de voleurs et de menteurs !

— Si je n’étais pas aussi malade, je l’aurais mieux élevé », fit tristement Ruth.

Elle sortit alors un fusil qu’elle tenait caché derrière sa jambe. Elle le pointa droit sur Rien et, avant que Marie ait même le temps de crier, elle pressa la détente.

La poudre grésilla, jeta des étincelles, et deux poignées de chevrotines cascadèrent de la gueule du canon.

« Curieux, fit Ruth. Mon époux m’a dit qu’il était chargé, prêt à tirer. »

Arthur Stuart surgit dans son dos. « Il l’était, dit-il. Mais des fois, les armes, ça fait pas ce qu’on leur demande. »

Elle se retourna face à lui, et alors, pour la première fois, la peur se peignit sur son visage. « De qui es-tu l’esclave ? Que fais-tu dans ma maison ?

— J’suis l’esclave de personne, homme ni femme, répondit Arthur Stuart. J’suis jusse quèqu’un qu’aime pas du tout qu’on pointe des fusils sus mes amis. »

La Tia apparut derrière lui. « Ma’am, dit-elle, posez ce fusil ridicule et vous vous assisez. » La Tia portait un plateau chargé d’un pichet et de six verres. « On va causer.

Laissez ma mère tranquille ! » s’écria Roy. Il voulut bousculer La Tia. Mais Arthur Stuart, aussitôt sur lui, l’attrapa par les poignets et le retint.

« Tu mourras pour avoir posé la main sur mon fils, fit Ruth.

— On mourra tous un jour, répliqua Arthur Stuart. Asteure vous allez écouter la dame. Assisez-vous.

— Vous avez fait intrusion dans ma demeure.

— C’est pas une demeure, dit Arthur Stuart. C’est une prison ousque soixante Noirs sont embarrés contre leur volonté. Vous faites partie des ceusses qui les tiennent prisonniers et, pour ce crime, vous méritez sûrement une punition affreuse, ma’am. Mais on est pas icitte pour punir le monde, alors p’t-être qu’il vaut mieux garder pour vous vos idées d’nous châtier. Asteure, vous allez vous assire. »

Elle s’assit. Arthur propulsa Roy vers un autre fauteuil et s’assura que lui aussi s’asseyait.

La Tia posa le plateau sur la petite table et entreprit de remplir les verres de limonade. « Pour vot’ gouverne, fit-elle, on a remarqué qu’un couillon a enclé toute la couleur dedans leurs cabanes. Avec la chaleur d’la journée, c’est criminel d’faire de même.

— Alors je les ai tous sortis, enchaîna Arthur. Sont après boire leur content à la pompe asteure, mais ils vont bétôt aider not’ compagnie à trouver des coins où camper dessus vos pelouses et dedans vos granges, et aussi à préparer l’dîner pour cinq mille maronneux. C’est comme dans la Bible, vous trouvez pas ?

— On n’a pas de quoi nourrir tout ce monde ! dit Ruth.

— Alors on abusera de l’hospitalité de certains d’vos voisins.

— Mon époux va revenir d’une minute à l’autre ! Très bientôt !

— On va l’guetter, dit Arthur. Vous avez pas b’soin d’avoir peur, m’est avis, on le laissera pas faire du mal par accident. »

Marie ne pouvait pas s’empêcher d’admirer son calme, comme s’il prenait plaisir à la situation. On ne sentait chez lui pourtant aucune malveillance.

« Il va rameuter le pays et vous faire tous pendre ! dit Roy.

— Même les femmes et les enfants ? demanda Arthur Stuart d’une voix douce. C’est un précédent risqué. Heureusement, nous autres, on est pas des tueurs, alors on vous pendra pas.

— Je parie que monsieur Tutor est déjà parti chercher de l’aide au pas de course, dit Roy d’un air suffisant.

— J’imagine que, monsieur Tutor, c’est la guenille de Blanc qu’a lu plusse de livres qu’il en a compris. »

Roy hocha la tête.

« Il est debout dedans la cour avec son pantalon aux chevilles pendant que d’la couleur illettrée lui lit la Bible. On dirait qu’ils l’ont entendu raconter à tort et à travers qu’on pouvait pas apprendre aux noirauds à lire par rapport que leur cerveau était pas assez gros, ou qu’ils avaient cuit au soleil, ou une autre théorie d’même, et ils sont après lui prouver qu’il a tort en ce moment.

— T’as pas perdu de temps dehors, fit Rien.

— Je suis une femme malade sur le point de mourir, dit Ruth. C’est cruel de m’infliger pareil tourment dans les dernières semaines qui me restent à vivre. »

Arthur la regarda et sourit. « Et combien de semaines de liberté vous vouliez donner à vos esclaves avant qu’ils meurent ?

— Nous traitons bien nos serviteurs, merci ! » fit Ruth.

Comme pour lui répondre, le vieux Bart entra dans le petit salon. Il ne marchait plus lentement désormais. Son pas était vif, énergique, et il se dirigea vers Ruth pour lui cracher sur les genoux. Roy bondit aussitôt de son fauteuil, mais le vieux Bart se tourna vers lui et le gifla si violemment que l’adolescent s’écroula.

« Non ! » cria Marie. Et sa mère cria aussi : « Non !

— On tape sus personne, fit La Tia d’une voix douce. Et on crache pas non pus. »

Le vieux Bart se tourna vers elle. « Tout l’monde derrière avait envie d’ça, mais j’leur ai dit : “Laissez-moi l’faire, rien qu’une fois pour nous tous.” Et ils ont accepté. Vous connaissez que ce drôle a déjà gâté deux filles, et y en une qu’a même pas ’core eu ses affaires de femme.

— C’est faux ! se récria Roy.

— Mon fils n’est pas capable de…

— C’est pas à la couleur que vous allez dire de quoi les Blancs sont capables, fit Arthur Stuart. Mais on en a assez de tout ça asteure. On est pas venus icitte, monsieur, pour apporter la vengeance ou la justice. On apporte jusse la liberté.

— Vous m’apportez la liberté et vous m’dites que j’peux pas en user ? fit le vieux Bart.

— J’connais ce que tu fais, intervint La Tia. T’es un esclave de maisonnée, tu veux faire oublier aux esclaves des champs que, toi, tu dors à l’intérieur dans un lit. »

Le vieux Bart lui jeta un regard noir. « Tous les jours les maîtres me traitent comme de la marde, je les ai d’vant moi tout l’temps, alors vous croyez qu’un lit dans la maison ça compense ? J’les déteste plusse que tout l’monde. Lui donner une tape au lieu de l’tuer, c’est d’la miséricorde. »

Arthur Stuart hocha la tête. « J’respecte vos sentiments, monsieur. Mais pour l’instant, la justice, ça m’intéresse pas, et la miséricorde pas plusse. Ce qui m’intéresse, c’est d’emmener sans danger cinq mille genses jusqu’au Mizzippy. Et j’ai pas b’soin que tout l’pays se soulève à cause d’un tas d’histoires d’esclaves qui tapent les p’tits de leurs anciens maîtres.

— Ils conteront pas des histoires de tapes, fit le vieux Bart. Ils vont dire qu’on a tué ce p’tit Blanc, gâté cette femme blanche et coupé en morceaux ce bon-rien d’professeur. Alors, comme c’est ça qu’ils conteront forcément, on peut bien en profiter un brin, non ? »

Ruth en eut le souffle coupé.

« Vous avez déjà fait assez comme ça, dit Arthur Stuart. J’vous ai dit la raison. Alors, si vous levez ’core la main sus quèqu’un durant qu’on est icitte, monsieur, faudra que j’vous en empêche. »

Le vieux Bart sourit d’un air condescendant à Arthur Stuart. « J’voudrais bien voir ça.

— Non, ça m’étonnerait », répliqua Arthur.

Marie voulut désamorcer la situation. Elle se leva de son fauteuil et s’approcha de Ruth Cottoner. « Donnez-moi la main, s’il vous plaît, dit-elle.

— Ne me touchez pas ! s’écria Ruth. Je ne donne pas la main aux envahisseurs et aux pillards !

— Je m’y connais en maladies, fit Marie. J’en connais plusse long que votre docteur.

— À Barcy, dit Arthur Stuart, on s’en venait la voir pour connaître si on allait guérir quand on était malade.

— J’vous ferai pas d’mal, fit Marie. Et j’vais vous dire la vérité de ce que j’vois. Vot’ fils connaîtra si c’est des menteries. »

Lentement, la femme leva la main et la posa sur celle de Marie.

Marie sentit l’anatomie de la femme comme si elle devenait partie d’elle-même, et elle situa aussitôt le cancer. Le foyer était dans son ventre, mais la maladie se répandait, lui rongeait les entrailles. « C’est pas bon, dit-elle. Ç’a démarré dans vot’ ventre, mais c’est asteure partout. La douleur doit être affreuse. »

Ruth ferma les yeux.

« Maman », fit Roy.

Marie se tourna vers Arthur Stuart. « Esse tu peux… ?

— Pas moi, répondit-il. C’est trop dur pour moi.

— Mais Alvin, tu crois pas qu’il…

— Vous pouvez lui demander. C’est p’t-être aussi trop dur pour lui, vous connaissez. C’est pas un faiseux d’miracles.

— Vous avez une espèce de guérisseur avec vous ? fit Ruth d’un ton amer. J’en ai déjà vu. Des charlatans.

— C’est pas vraiment un guérisseur, dit Arthur Stuart. Il fait ça seulement, vous connaissez, quand il rencontre quèqu’un qu’en a b’soin, quoi. »

Marie lâcha la main de la femme et se rendit à la fenêtre. Déjà les fugitifs pénétraient dans le domaine par groupes de dix puis cinquante maisonnées. Des Noirs de la plantation les guidaient vers différents bâtiments et cabanes, et depuis les cuisines arrivaient les échos de casseroles et de poêlons, de hachoirs et de conversations.

On n’avait aucun mal à repérer Alvin dans la multitude grouillante. Il était aussi fort qu’un héros de légende – Achille, Hercule – et aussi sage et bon que Prométhée. Marie savait qu’il pouvait guérir cette femme. Et qui pourrait les accuser de voler s’il la remboursait avec des années et des années de vie ?

 

*

 

Les cuisses d’En-Vérité Cooper s’irritaient toujours quand il montait à cheval. Non seulement sa peau, mais aussi ses muscles. Chevaucher pendant des heures réussissait à certains. En-Vérité n’était pas de ceux-là. Et il n’avait rien à faire parmi eux. Les hommes de loi prospéraient, non ? Ils roulaient en voiture. En train.

À cheval, il fallait réfléchir sans cesse et travailler de surcroît. Le cheval ne se chargeait pas de tout, loin de là. Il allait en permanence rester sur le qui-vive, sinon l’animal sentait qu’il n’y avait personne aux commandes, et on se retrouvait en route vers la première destination qui lui excitait les naseaux.

Et puis il y avait les frottements. La seule façon d’empêcher la selle de frotter contre l’intérieur des cuisses, c’était de se tenir légèrement debout dans les étriers et de rester solide sur ses appuis. Mais les muscles des jambes fatiguaient. Peut-être qu’avec le temps il accroîtrait sa puissance musculaire et son endurance, mais il montait rarement aussi longtemps. Il lui fallait donc se dresser dans les étriers jusqu’à ce que les cuisses le mettent à la torture, puis se rasseoir et endurer les frottements.

Dans les deux cas, ses jambes le brûlaient.

Pourquoi me faut-il faire ça pour Alvin ? Ou pour Margaret Larner ? Qu’est-ce que je leur dois en réalité ? N’est-ce pas moi qui leur ai surtout rendu service depuis que je suis leur ami ? Qu’en ai-je tiré, exactement ?

Il avait honte de nourrir de telles pensées déloyales, mais il ne pouvait empêcher des idées de lui passer par la tête, pas vrai ? Il avait été un temps l’ami et le compagnon de route d’Alvin, mais cette époque était révolue. Il avait aussi essayé d’apprendre à devenir Faiseur avec les autres à Vigor Church, mais malgré son propre talent à percevoir comment les choses s’agençaient entre elles et à les modifier suffisamment pour qu’elles s’ajustent parfaitement – ce qui, selon Alvin, était une qualité essentielle du Faiseur –, il n’arrivait pas à reproduire ce que réalisait Alvin.

Il pouvait ressouder un os brisé – un talent tout de même appréciable – mais pas guérir une plaie ouverte. Il pouvait rendre un tonneau si hermétique qu’il ne fuirait jamais, mais il ne pouvait pas ouvrir une serrure d’acier en faisant fondre le métal. Et quand Alvin avait laissé son école de Faiseurs partir à vau-l’eau, En-Vérité n’avait vu aucune raison de rester poursuivre ses exercices.

Alvin le lui avait pourtant demandé, et il lui avait obéi. Ainsi que Mesure, le frère aîné d’Alvin. Deux idiots, voilà ce qu’ils étaient. Qui s’évertuaient à enseigner aux autres ce qu’eux-mêmes n’avaient pas appris.

Et le métier d’homme de loi ne lui avait guère rapporté.

Je suis bon avocat, se disait En-Vérité. Aussi bon avocat que tonnelier. Peut-être meilleur. Mais je ne plaiderai jamais devant la Cour suprême, la Cour supérieure de justice ni aucune cour en vue. Je ne défendrai jamais d’affaire qui me rendra célèbre – sauf quand j’ai défendu Alvin. C’était Alvin qui en avait alors récolté toute la notoriété, mais En-Vérité ne lui en tenait pas rigueur.

Voilà qu’il n’était pas resté concentré, et son cheval en avait profité pour quitter la piste. Où suis-je cette fois ? Faut-il que je rebrousse chemin ?

La route qu’il suivait croisait un peu plus loin un petit cours d’eau. Mais au lieu d’un guet comme on en rencontrait le plus souvent dans ces cas-là, il y avait un pont massif – et couvert – long d’une dizaine de pas tout au plus, mais bâti nettement au-dessus de l’eau et ne montrant aucun signe de délabrement alors qu’il avait été construit, En-Vérité le savait, par le père et les frères aînés d’Alvin afin qu’aucun des futurs voyageurs ne perde de fils et de frère aimé à cause d’une rivière insignifiante comme la Hatrack soudain en crue le jour précis où il fallait la traverser.

Le cheval avait donc bifurqué quelque part et il se dirigeait désormais, non pas tout droit vers Carthage et ensuite vers l’État de la Noisy River, mais vers Vigor Church au nord-ouest. Il mettrait un peu plus de temps à rejoindre Abe Lincoln par ce chemin-là, mais, maintenant qu’il y réfléchissait, c’était la meilleure solution. Il pourrait y faire relâche et se reposer. Il y apprendrait peut-être des nouvelles. Et peut-être y découvrirait-il l’amour de sa vie qui n’attendrait que lui et l’emmènerait loin de toutes ces histoires compliquées.

Alvin a une femme et un enfant à naître, et moi qu’ai-je ? Des jambes en capilotade. Et pas de clients.

Ce qu’il me faut, c’est trouver un homme de loi dans la Noisy River qui ait besoin d’un bon adjoint dans son cabinet. Je crois savoir comment travailler en association avec un collègue. Je n’ai jamais été associé avec Alvin le Faiseur. C’est lui son meilleur associé, en dehors peut-être de sa femme, mais, vu la distance qui les sépare toujours, il est difficile de parler là aussi de véritable association.

Je vais jeter un coup d’œil à Springfield, dans l’État de la Noisy River, et voir si je peux m’y établir.

Et je ne passerai pas à Vigor Church. L’amour de ma vie n’est pas là-bas. Pour mon bonheur ou mon malheur, c’est mon amour envers Alvin le Faiseur qui régit mon existence, et j’ai été envoyé afin de le servir à Springfield. Je ne ferai pas de détour.

Il fit volter son cheval et ne tarda pas à trouver la bifurcation où l’animal avait pris la mauvaise route. Non, sois honnête, se dit-il. Où, toi, tu as pris la mauvaise route dans l’espoir, comme Jonas, de fuir ton devoir.

 

*

 

Arthur Stuart observait attentivement Alvin au cas où il pourrait apprendre comment guérir une pareille maladie. Il n’avait pas vu en détail de quelle manière Alvin avait réparé le pied de Pap Orignal, mais il en avait compris les grandes lignes. Le cancer de cette femme, c’était plus ardu. Une fois que Marie la Mort avait montré ce qui se passait dans le ventre de la femme, Arthur Stuart avait réussi à trouver le mal, mais ce n’était pas facile de distinguer jusqu’où il s’étendait, de savoir où les chairs saines s’arrêtaient et où commençaient les corrompues. Et de méchants petits points parsemaient ici et là son organisme – mais il n’avait aucune certitude que certains étaient cancéreux ou non.

Aussi, quand Alvin entra dans la maison et le salua ainsi que La Tia, Rien et Marie la Mort, Arthur Stuart attendit à peine pour l’amener près de madame Cottoner.

Alvin s’inclina sur sa main puis serra d’un air grave celle de Roy, ce qui n’enchanta guère l’adolescent.

Après quoi il demanda s’il pouvait s’asseoir près d’elle et lui prendre les deux mains, « par rapport que c’est plusse facile si j’vous touche, mais j’peux faire autrement si vous préférez ».

Pour toute réponse elle plaça ses mains dans les siennes. Et là, assis dans le petit salon, dans le brouhaha du camp en effervescence dehors, sans parler de celui à l’intérieur de la maison chaque fois que des gens y entraient en coup de vent pour demander à La Tia ou Rien de prendre une décision, Alvin s’attela à la tâche de modifier l’organisme de la femme.

Arthur Stuart s’efforça de suivre le processus, surtout qu’Alvin progressait cette fois lentement et méthodiquement. Presque comme s’il voulait que ce soit clair pour Arthur – et c’était peut-être son intention. Mais les détails les plus importants avaient toujours l’air de lui échapper. Il percevait ce qu’examinait Alvin et il le voyait chercher la limite entre la chair saine et la corrompue. Mais il n’arrivait pas à comprendre comment le forgeron savait à quel moment il l’avait trouvée.

Il repérait tout de même quelques éléments du processus. De quelle façon, quand il détruisait la chair malade, Alvin la dissolvait dans le sang qui l’emportait. Comment il prenait soin de refaire toutes les connexions internes une fois les parties cancéreuses éliminées. Comment il lui redonnait des forces.

« Je ne me sens pas bien, murmura-t-elle.

— Mais vous souffrez pas, lui murmura Alvin.

— Non, je ne souffre pas.

— J’ai proche fini. Vot’ organisme m’aide à trouver partout ousque c’est malade. J’pourrais pas y arriver sans votre aide. Vous connaissez comment vous guérir, pas dans vot’ tête mais dans vos chairs, vos os et vot’ sang. Vot’ organisme avait jusse besoin qu’on… l’mette sus la bonne voie. Vous voyez ? Y a pas d’miracle. Mon talent, c’est rien d’plusse que trouver ce que vot’ corps veut déjà faire mais sans connaître comment s’y prendre, et… d’lui montrer la marche à suivre.

— Je ne comprends pas, fit-elle.

— L’impression d’mal au tcheur passera quand l’restant d’la maladie s’en ira avec les selles. Demain matin au plus tard. P’t-être avant.

— Mais je ne vais pas mourir ?

— Vous sentez pas ? demanda-t-il d’une voix douce. Vous sentez pas que des chairs en bonne santé sont asteure en vous ? »

Elle secoua la tête. « La douleur est partie, c’est tout.

— Ben, c’est déjà quèque chose, non ? » fit Alvin.

Elle se mit à pleurer.

Aussitôt, Roy se précipita vers elle, lui mit une main sur l’épaule et regarda Alvin et Arthur Stuart d’un œil mauvais.

« Elle ne pleure jamais ! Vous l’avez fait pleurer !

— Elle braille de soulagement, dit Arthur Stuart.

— Non, fit Alvin.

— Vous lui avez fait mal ! lança Roy.

— Elle pleure par rapport qu’elle a peur. » Alvin se tourna vers madame Cottoner. « De quoi vous avez peur, ma’am ?

— J’ai peur que le mal revienne une fois que vous serez parti.

— J’peux pas vous promesser qu’il reviendra pas. Mais, d’après moi, y a rien à craindre. Si jamais ça revient, vous m’écrivez une lettre. Envoyez-la à Alvin, le fils de Miller, à Vigor Church, dans l’État d’la Wobbish.

— Vous ne pourrez pas revenir chez nous, dit-elle.

— Et comment qu’il ne pourra pas, fit Roy. Je serai alors plus grand et je l’tuerai !

— Non, tu ne le tueras pas, dit madame Cottoner.

— Si. Voler tous nos esclaves ! Vous ne comprenez pas, mère ? Nous serons pauvres !

— Nous avons toujours le domaine. Et tu as toujours ta mère. Cela ne représente rien pour toi ? »

Le regard appuyé de la femme dut transmettre à son fils un message qu’Arthur ne saisit pas parce que l’adolescent fondit en larmes et quitta le salon en courant.

« Il est jeune, dit-elle.

— Ce péché-là, on l’a tous commis, dit Alvin. Et certains ont du mal à s’en défaire.

— Pas moi, dit-elle. Je n’ai jamais été jeune. »

Arthur Stuart sentit que sa remarque cachait une histoire grave, mais il ignorait ce qu’elle racontait. Si sa grande sœur Peggy avait été présente, elle aurait su, elle, et la lui aurait peut-être répétée plus tard. Ou si Mot-pour-mot avait pu venir, apprendre l’histoire et la recopier dans son livre, peut-être aurait-il compris. En l’occurrence, le jeune métis ne pouvait qu’émettre des suppositions sur ce qu’elle entendait par son allusion à une jeunesse qu’elle n’avait jamais eue.

Ou sur ce qu’entendait Alvin par sa réponse : « Asteure, vous êtes jeune.

— Le temps de quelques heures, peut-être », dit-elle.

Alvin ouvrit les mains afin qu’elle dégage les siennes. Mais, d’un mouvement vif, elle lui saisit les poignets. « Oh, s’il vous plaît, fit-elle. Pas encore. »

Il resta donc assis un petit moment avec elle en lui tenant les mains.

Arthur Stuart ne pouvait pas voir pareil spectacle plus longtemps. Il n’était plus question de guérison à présent. Alvin n’exerçait en rien son talent. Il se contentait de tenir les mains d’une femme qui le regardait comme s’il était Dieu, un frère perdu depuis longtemps de vue ou mieux encore. Arthur Stuart avait l’impression que quelque chose n’allait pas. Comme si sa sœur d’adoption, Peggy, était en quelque sorte victime d’une trahison. Ce n’est pas à vous de tenir ces mains-là, Ruth Cottoner, voulait-il dire.

Mais il garda le silence, sortit et vit de quelle manière La Tia prenait tranquillement des décisions et assurait la bonne marche des opérations sans élever la voix. Il lui arrivait même de s’esclaffer et d’obtenir des sourires et des rires de ceux qui venaient la trouver.

Elle l’aperçut et le héla. « Viens-t’en icitte, toi ! J’connais pas assez d’espagnol pour comprendre ce bougre-là ! »

Arthur Stuart reprit donc ses activités du camp et laissa Alvin seul dans la maison avec une femme à moitié amoureuse de lui. Ma foi, n’était-ce pas normal ? Il venait de lui sauver la vie. Il avait regardé en elle, vu ce qui ne fonctionnait pas et l’avait réparé. Comment ne pas aimer un homme pareil ?

 

*

 

Ce ne fut pas à bord d’un vapeur que s’embarqua le corps expéditionnaire pour le Mexique. Steve Austin avait dû dénicher quelqu’un aux poches bien pleines, parce qu’il disposait pour sa troupe d’un trois-mâts latin, idéal pour le commerce côtier et percé de sabords pour des rames, comme une galère, le calme plat étant monnaie courante dans le golfe du Mexique. Le bâtiment était armé de gros canons et transportait des pièces de campagne qu’on descendrait à terre une fois à destination. De l’artillerie digne de ce nom, quoi !

Calvin sentit grandir son respect pour l’aptitude d’Austin à mener des entreprises à bien. Naturellement, beaucoup de gens avaient envie de financer une conquête du Mexique – s’ils estimaient l’expédition en mesure de réussir. Et comme il y avait peu de chances de ce côté-là – pas avec un seul bateau et une centaine de « soldats » à la discipline à peu près inexistante –, le fait d’avoir trouvé autant d’argent pour un tel projet prouvait que Steve Austin savait vendre.

Voilà ce qu’il me faut apprendre, se dit Calvin. Je vais observer cet homme et comprendre comment il persuade les gens d’investir dans des projets insensés. Un talent utile.

Le bâtiment vira de bord sur le fleuve, aidé dans sa manœuvre par deux cordages toujours reliés à la berge qui l’empêchaient de s’éloigner dans le brouillard perpétuel de la rive opposée où il risquait de se perdre. Puis il rompit les amarres et se lança dans son long voyage majestueux vers l’embouchure du Mizzippy.

Pas très loin en aval de Barcy, le brouillard de la rive droite s’éclaircit puis disparut bien avant que le bateau ait gagné la pleine mer. Un détail intéressant. Le brouillard ne devait pas être lié au fleuve, mais à la limite du territoire que Tenskwa-Tawa voulait protéger. Calvin se demanda alors s’il y avait aussi du brouillard le long de la côte ainsi qu’entre le Mexique et les régions sous la protection de Tenskwa-Tawa.

Ou Tenskwa-Tawa avait-il conclu une quelconque alliance avec les Mexicas ? Se livrait-il lui aussi à des sacrifices humains ? Et, si oui, Alvin était-il au courant ? Voilà une idée à creuser. Tous ces nobles sentiments pour interdire l’esclavage et empêcher une guerre sanglante… et en même temps il a pour grand ami un prophète rouge qui fricote avec les sauvages mexicas arracheurs de cœurs.

Calvin l’avait toujours su. Alvin feignait d’être vertueux et de n’employer son pouvoir que pour faire le bien, mais il ignorait tout autant que son cadet ou n’importe qui ce qu’était le bien. Il lui fallait croire que tout ce qu’il accomplissait était noble – quels que soient l’histoire à laquelle il donnait foi et les « nous » qu’il protégeait contre les « eux » –, mais ça ne l’était pas. Jamais. Alvin était comme tout le monde, il faisait ce qu’il voulait dès lors qu’il pensait ne courir aucun risque, se servant du premier pouvoir qui lui tombait sous la main et piétinant tous ceux qui lui barraient le chemin.

Calvin, au moins, se savait ainsi. Il ne se berçait pas d’illusions.

Il parcourut du regard les eaux miroitant au soleil tandis que la brise se prenait dans les voiles, les gonflait et permettait au bateau de tirer des bords jusqu’à l’océan. Un océan lisse, propre, brillant, éclatant. Carrément aveuglant quand le soleil se réfléchissait sur les vaguelettes et projetait la lumière dans les yeux. Tellement propre sous les petits nuages blancs qui défilaient comme à la parade dans le ciel d’un bleu radieux.

Mais, en dessous, l’eau était trouble, le fond vaseux, et des bestioles y rampaient, y dévoraient tout ce qu’elles trouvaient et se faisaient ramasser par des filets de crevettiers comme par la main de Dieu descendue des cieux pour punir les pécheurs. Seulement il ne s’agissait pas de punition, et il n’y avait pas de pécheurs, uniquement des bêtes affamées et brutales qu’on capturait et d’autres qui en réchappaient.

Alvin s’arrange pour vivre à la surface bleue et lumineuse de la mer. Mais pas moi.

Autour de lui, les autres soldats de l’expédition riaient, plaisantaient et se vantaient de leurs futurs exploits au Mexique. Mais il était probable que Steve Austin projetait de débarquer quelque part puis de se servir des pouvoirs de Calvin pour impressionner des alliés potentiels et terrifier les Mexicas. Ces rieurs, ces vantards, c’étaient des larbins, tous sans exception. Et il n’y avait pas beaucoup de larbins qui vendaient leur courage en même temps que leur personne. Tant qu’on ne leur tirerait pas dessus, tant qu’ils ne verraient pas leurs camarades sous forme de cadavres, ils seraient braves. Mais au premier accrochage ils disparaîtraient.

Bah, pourquoi pas ? Moi aussi.

Pauvre Steve Austin. Tout cet argent pour apporter des canons aux Mexicas.

Mais il pouvait parfaitement réussir. Après tout, il avait avec lui Calvin le Faiseur qui détenait un pouvoir et n’avait pas honte de s’en servir.

N’était-ce pas Calvin qui faisait souffler le vent régulièrement et toujours dans une direction favorable ? Personne à bord ne soupçonnait qu’on le lui devait. Mais quand on me compte à bord, ces ouvertures pour les rames sont superflues.

 

*

 

C’était le soir, et tout le monde avait mangé. Un brouillard épais entourait désormais la plantation Cottoner de tous côtés, mais le ciel était dégagé au centre et on distinguait même des étoiles.

Arthur Stuart était fier d’avoir appris à modeler le brouillard. On avait peine à croire que seulement deux semaines plus tôt il apprenait à fondre le fer, et avec une lenteur exaspérante. Mais c’était comme un bambin qui aligne difficilement deux pas de suite et qui galope quinze jours plus tard à toute allure dans la maison et la cour en se cognant dans tout le monde et en s’amusant comme un fou.

Brouillard ou ciel dégagé. Arthur Stuart avait le choix.

« C’est que du brouillard, lui dit Alvin en le voyant aussi excité. T’as pas fabriqué une nouvelle lune ni déplacé une montagne.

— C’est l’temps, fit Arthur Stuart. J’peux changer l’temps.

— T’as fabriqué une barrière autour de genses qu’avaient b’soin de protection. Commence pas à faire le fanfaron et t’avise pas de vouloir décider qui mérite la pluie et qui la mérite pas. Une fois que t’as lancé une tempête, c’est rudement dur de la faire taire.

— J’vais pas lancer une tempête, dit Arthur Stuart d’un air dédaigneux. Tu m’connais depuis beaucoup d’années et tu m’prends pour Calvin ? »

Alvin eut un grand sourire. « Là-d’sus, j’fais pas la confusion. Mais tu viendras pas m’dire : “C’est pas ma faute, j’connaissais pas !”

— Alors tu vas tout m’apprendre ?

— Tout ce qui m’vient à l’idée.

— Qui t’a appris, à toi ?

— Mes erreurs imbéciles.

— Alors, si tes erreurs imbéciles t’ont tellement aidé, pourquoi tu m’empêches d’apprendre avec le même maître ? »

Alvin, à court de réponse, se contenta de rire.

Puis ce fut le moment pour lui de partir.

« Faut dormir, lui dit Marie la Mort. Partez pas avant d’main matin.

— C’est mieux pour moi la nuit, fit Alvin. Et j’dormirai durant l’voyage. »

Marie la Mort avait l’air déconcertée.

« C’est une affaire qu’il a apprise avec les Rouges, dit Arthur Stuart. Il court durant qu’il dort. On a eu droit à ça la nuit dernière, quand on a traversé le lac. Vous avez pas entendu ?

— Entendu ? Quel bruit ça fait quand on court durant qu’on dort ? » Elle se mit à rire, croyant qu’Arthur Stuart blaguait.

Mais l’instant suivant elle avait à nouveau oublié Arthur. Elle s’était remise à contempler Alvin, et Arthur s’aperçut qu’elle passait beaucoup de temps à l’observer, chaque fois qu’aucune tâche ne la requérait. Elle n’avait pas pour lui le regard ému de Ruth Cottoner. C’était différent. Le sien était extasié. Intense. Comme si elle voulait le posséder des yeux.

Dans le cas de Ruth Cottoner, c’était de l’amour, pas de doute, de l’amour fait de gratitude, de soulagement, de crainte et de confiance en cet homme qui venait de la sauver. Marie la Mort, elle l’aimait aussi, mais d’une autre manière. D’un amour réfléchi. Elle n’avait pas encore obtenu ce qu’elle voulait. Mais elle comptait l’obtenir.

Je ne peux pas savoir ça, se dit Arthur Stuart. Je ne suis pas Peggy, je ne suis pas une torche qui voit dans la flamme de vie des gens.

De toute façon, Peggy n’enverrait pas Alvin là où une autre femme risquait de tomber amoureuse de lui.

Là encore, pour ce qu’en savait Arthur, les femmes tombaient toujours amoureuses d’Alvin qui, trop jeune et trop bêta, n’avait jamais rien remarqué. Il se souvenait parfaitement de quelques exemples. Ça n’allait jamais loin. Le forgeron n’était pas gars à répondre aux avances.

Mais, cette fois, Alvin ne voyait manifestement pas de quelle façon elle le regardait. Peut-être parce qu’elle était plus subtile. Après tout, Arthur ne s’en était pas aperçu non plus avant ce soir. Alors peut-être Alvin ne s’était-il pas rendu compte qu’elle ne le quittait jamais des yeux, qu’elle buvait chacune de ses paroles, qu’elle l’idolâtrait. Mais qu’il s’en soit rendu compte ou non, la jeune femme lui faisait de l’effet. Il n’arrêtait pas de se tourner vers elle. Quand il parlait à quelqu’un, il fallait qu’il lui jette des coups d’œil, comme pour vérifier qu’elle l’avait entendu. Pour s’assurer qu’elle avait saisi une blague qu’eux deux seuls connaissaient.

Mais il n’y avait pas de blagues entre eux, il n’y avait rien, le temps leur avait manqué pour ça. Arthur Stuart était là, non ? Presque toujours, sauf la toute première fois qu’ils s’étaient rencontrés, quand elle l’avait emmené à la cabane dans les marais pour guérir sa mère.

Cette Marie la Mort, tout ce qu’elle voit chez les hommes qu’elle croise, c’est s’ils sont malades ou non et s’ils vont en mourir. Mais, chez Alvin, que voit-elle ? Chez l’homme qui peut empêcher ses cauchemars de se réaliser.

Non, elle voit son pouvoir. Celui de changer le monde, de changer l’avenir. Ou peut-être seulement la puissance de ses bras et ses épaules de forgeron.

Qu’est-ce que j’en ai à faire, de toute manière ? Il n’y a aucune chance qu’Alvin tombe amoureux d’elle. Il ne regarde pas d’autre femme que Peggy – autrement, je le saurais. Alors quelle importance pour moi ?

Et puis Alvin n’est pas le seul ici à pouvoir faire des exploits. Je ne suis peut-être pas capable de guérir les gens comme lui, mais j’ai soutenu l’autre bout de son pont, et ce n’est pas rien. J’ai empêché le fusil de Ruth Cottoner de tirer.

J’ai fait venir le brouillard.

À quoi je pense ? Elle a bien cinq ans de plus que moi. Elle est blanche et française. D’un autre côté, je parle maintenant plutôt bien le français. Et je suis à demi blanc, et puis qu’est-ce que ça changera, n’importe comment, une fois qu’on sera sortis du pays des esclavagistes ?

Non, je suis un gamin à ses yeux, à moitié noir par-dessus le marché, et surtout je suis l’apprenti Faiseur d’Alvin, c’est lui le héros, alors pourquoi est-ce qu’elle poserait les yeux sur moi ?

Une bonne chose qu’Alvin s’en aille, en tout cas. Une bonne chose qu’il doive partir en mission. Ce n’était pas le moment de s’amuser, il y avait trop à faire.

Alvin ne fit pas toute une histoire de son départ. Il avait effectué ses tâches prévues. La Tia, Arthur, Marie la Mort et Rien connaissaient les leurs – détourner l’attention des résidents de la grande maison le temps qu’Arthur Stuart et La Tia libèrent les esclaves et leur apprennent tout ce qu’ils devaient savoir. Ça ne se passerait évidemment pas toujours dans de telles conditions : le maître parti, les esclaves tous enfermés dans leurs cabanes, le surveillant ivre plongé dans un sommeil profond. Et on ne guérirait pas de femme, une fois Alvin parti. Mais ils y arriveraient.

Et la dernière chose que voulait Alvin, c’était que les milliers de réfugiés de Barcy constatent qu’on faisait tout un plat de son départ. Surtout si certains devaient donner libre cours à leurs sentiments et le supplier de rester. Le doute envahirait le camp. En tout cas, ceux qui s’étaient acquittés des tâches importantes de la journée restaient avec eux. Et quand les inquiets commenceraient à demander où se trouvait Alvin, ils pourraient répondre : « Il est parti devant en éclaireur, il revient bientôt. »

Aussi, lorsque ce fut l’heure pour Alvin de prendre la route, la plupart des gens ne s’en aperçurent même pas.

Arthur Stuart, lui, s’en aperçut, mais il ne courut pas derrière le forgeron pour lui dire un dernier mot. Il lui adressa un grand sourire et le regarda jeter son sac sur son épaule, se glisser sous les arbres et s’enfoncer dans le brouillard.

Lorsqu’il détourna les yeux du point où Alvin avait disparu, il lui sembla que personne n’avait rien remarqué. Sauf Marie la Mort. Elle discutait ostensiblement avec sa mère et deux Français, mais son regard restait fixé là où s’était évanouie la silhouette d’Alvin.

C’est l’amour, se dit Arthur Stuart. La fille est folle d’amour. Ou d’autre chose.

Il fallut un moment pour que les fuyards s’installent. Ils n’avaient pas beaucoup dormi, on aurait donc pu les croire fatigués, et les enfants, eux, avaient sombré dans le sommeil aussitôt leur estomac plein. Mais pour des tas de raisons – conversations, étonnement, inquiétude – ce n’est qu’une heure ou deux après la fin du repas, une fois la vaisselle faite, que s’apaisèrent les bourdonnements du camp.

Arthur savait qu’il avait besoin de dormir comme tout le monde, peut-être même davantage. Mais il s’assura d’abord que le brouillard était en place. C’était sa première tâche, et s’il la ratait, à quoi serait-il bon ? Il fit donc une dernière fois le tour du camp. Deux Noirs juste libérés de l’esclavage dans la plantation Cottoner le virent et vinrent le remercier, mais il refusa leurs remerciements et leur répondit qu’il ne leur avait rien donné que Dieu ne leur avait déjà accordé, puis il s’excusa pour finir son tour d’inspection.

Lorsqu’il regagna la grande demeure, presque tout le monde dormait. Et il s’aperçut soudain qu’il n’avait même pas prévu ne serait-ce qu’une couverture pour lui.

Aucune importance. L’herbe était sèche, l’air doux, et il se fichait des insectes. Il trouva un coin désert non loin de la lisière du brouillard où personne ne dormait, il s’y assit et entreprit de se frotter sous les pieds avec de l’herbe, ce qui le soulagea après une journée de marche. Ses chaussures étaient quelque part près de la maison, il s’en souvenait à présent. Il les récupérerait au matin ou il s’en passerait. Les chaussures, c’était utile en hiver, mais des boulets à traîner en été quand on avait surtout envie de sentir la terre sous ses pieds.

« Comme ça, il est parti », dit Marie la Mort.

Arthur n’avait même pas remarqué son approche. Il se maudit tout seul. Alvin savait toujours qui se trouvait à proximité. Et Arthur Stuart arrivait à voir les flammes de vie, celles qui n’étaient pas trop loin, en tout cas. Il n’avait pas l’habitude de regarder, voilà tout. Ils étaient à présent des centaines à dormir autour de lui. Il n’avait pas fait attention.

« Et c’est toi l’Faiseux, asteure, poursuivit Marie la Mort.

— Apprenti Faiseux, rectifia Arthur Stuart. Et encore. Mon vrai talent, c’est d’apprendre les langues. »

Elle lui dit quelque chose dans une langue qui rappelait à la fois l’espagnol et le français.

« Faut d’abord que j’les apprenne, dit Arthur. J’ai pas déjà toutes les langues qu’existent dans la tête. »

Elle rit légèrement. « Qu’esse ça fait de voyager tout l’temps avec lui ?

— C’est comme accompagner un beau-frère qui vous traite des fois comme un p’tit drôle et d’aut’ fois comme une grande personne. »

Elle sourit et secoua la tête. « Ça doit être merveilleux de l’voir faire toutes ces nobles choses.

— Souventes fois, il fait pas plusse d’une noble action avant l’déjeuner, et après c’est fini pour l’restant d’la journée.

— Tu m’taquines, dit-elle.

— Tu veux connaître comment c’est ? fit Arthur Stuart. Demande à ta mam si ça lui fait de l’effet quand elle te voit trouver que quèqu’un est malade et qu’il va en mourir.

— Comment on s’habitue à des affaires de même ?

— J’essaye pas de m’habituer, dit Arthur. J’essaye d’apprendre à devenir comme lui.

— Quofaire ? Quofaire t’as b’soin de connaître tout ça quand, lui, il y arrive tellement mieux ? »

Ne se rendait-elle donc pas compte qu’elle le blessait terriblement en disant une chose pareille ? « Ben, c’est quand même une chance que j’ai appris quèques affaires, tu crois pas ? fit-il. Sinon, nous faudrait des masses de veilleurs cette nuit, et combien on trouverait de gardes de confiance dans ce groupe, d’après toi ?

— Alors c’est toi qu’as créé l’brouillard ? C’est pas lui ?

— Il l’a commencé, pour me montrer. Et j’ai fait l’restant.

— Et tu pourras l’refaire demain ?

— J’espère, dit Arthur Stuart, par rapport qu’on pourra pas emmener ce brouillard. Si on passe une deuxième nuitée icitte, il restera plus arien à manger dans la plantation et les Cottoner crèveront d’faim.

— Ils crèveront pas d’faim – ils ont pus tous leurs esclaves à nourrir, souviens-toi. » Elle s’étendit sur le dos dans l’herbe. « Si j’pouvais voyager avec lui, je serais heureuse à chaque minute de la journée.

— Ça marche pas d’même pour moi. Un jour sur deux, je m’cogne le pied ou j’mange quèque chose qui m’donne mal au tcheur. Mais sinon, c’est plutôt l’extase.

— Quofaire tu m’taquines ? J’fais arien d’autre que dire ce que j’ai sus l’tcheur.

— Il est marié. Et sa femme, c’est ma sœur.

— Sois pas jaloux pour ta sœur, fit Marie la Mort. Je l’aime pas de cette mayère-là. »

Oh si, songea Arthur Stuart. « Bien content de l’entendre, dit-il.

— Tu peux m’aider ? demanda-t-elle.

— T’aider à quoi ?

— Le globe d’eau cristallisée qu’il a créé, celui que j’ai transporté…

— Si j’me souviens bien, un couple de gars qu’avaient l’béguin pour toi ont poussé la brouette une grande partie d’la journée. »

Elle chassa la pique d’un geste de la main. « Quand j’regarde dedans, ce que j’vois me fait peur.

— Qu’esse tu vois ?

— Toutes les morts du monde, répondit-elle. Tellement que j’peux même pas dire qui meurt. »

Arthur Stuart frissonna. « J’connais pas comment ça marche. P’t-être qu’on voit seulement ce qu’on a l’habitude de voir. Tu connais déjà comment voir la mort, alors c’est ce que tu vois. »

Elle hocha la tête. « C’est logique. J’allais te demander ce que tu vois, toi.

— Ma mère, dit Arthur Stuart. Après voler. Elle m’emporte vers la liberté.

— Alors t’es né en esclavage.

— Ma mère a usé toutes ses forces pour m’emporter et elle en est morte.

— Très courageux d’sa part. Très triste pour toi.

— J’avais d’la famille. Deux familles. Une noire, les Berry, ils ont fait semblant d’être mes vrais parents un moment, comme ça personne connaissait que j’étais un marronneux. Et les Guester, la famille blanche qui m’a vraiment élevé. La belle-mère d’Alvin, la vieille Peg, elle m’a adopté. Et c’est ça qu’elle voulait. Mais Alvin a plusse été mon père que l’père de Peggy, m’est avis. Il tient une aubarge, et c’est un vaillant bougre. Il a aidé des masses d’esclaves à rejoindre la liberté. Et il m’a toujours fait bon accueil, mais c’est Alvin qui m’a emmené partout et m’a tout montré.

— Et tout ça avant tes vingt ans.

— M’est avis qu’on a pas ’core fini, dit Arthur Stuart.

— Alors toi tu peux m’taquiner mais pas moi ?

— J’connaissais pas que t’étais après m’taquiner.

— Tu parles donc pas toutes les langues. » Elle éclata d’un rire moqueur.

« Si ça t’fait arien, c’est p’t-être l’heure de dormir.

— Te fâche pas après moi, apprenti Faiseux. On a beaucoup d’travail à faire ensemble. On devrait être amis.

— On est amis, fit Arthur Stuart. Si c’est ça qu’tu veux.

— C’est ça que j’veux. »

Il réfléchit mais s’abstint de répliquer : Comme ça, je te servirai à rester près d’Alvin, m’est avis.

« Et toi ? » reprit-elle.

Qu’est-ce que ça peut faire, ce que je veux ? « ’videmment, répondit-il. Tout marchera mieux si on est amis.

— Et un jour tu m’aideras à comprendre ce que j’vois dedans le globe d’Alvin ?

— J’comprends déjà pas ce que j’vois dans ma soupe, répondit Arthur Stuart. Mais j’essayerai. »

Elle roula sur un bras, se pencha et lui planta un baiser sur le front. « J’vais mieux dormir asteure que j’connais que t’es mon ami et que tu vas m’apprendre des affaires. »

Puis elle se leva et s’en alla.

Toi, tu vas peut-être mieux dormir, songea Arthur, mais pas moi.

La Cité de Cristal
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